Hommage au Cinéma
en Noir & Blanc
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Les récentes années ont posé la douloureuse question nationale à la classe politique européenne intégrée ou désarticulée. Cannes 2006 remue le couteau dans la plaie en renvoyant l'Europe à la réalité de la lutte pour la dignité de citoyens opprimés parce qu'exclus.
Par Pathé MBODJE,
Journaliste, sociologue
Journaliste, sociologue
Cannes 2006 est revenu à la source de l'intégration raciale dans le monde avec la présence de Sidney Poitiers comme invité-vedette et par le sacre des tirailleurs maghrébins (« Les Indigènes ») avec un palmarès des plus politiques qui consacre les peuples en lutte, de l'Irlande à l'Afrique.
La 59ème édition de Cannes consacre en effet près de 80 ans de lutte raciale à travers les Etats-Unis et la fière Albion (La Palme d'or décernée au « Britannique » Ken Loach pour son film "Le vent se lève" sur la guerre d'indépendance irlandaise dans les années 1920 ), et prend plus de relief à la lumière des récents événements survenus en Europe, entre la France de novembre 2005 et sa banlieue et ses hôtels noirs en feu, et la Belgique de mai, avec la tragédie de cet illuminé d'extrême droite faisant feu sur tout ce qui est de couleur. A une humanité qui se pose des questions sur son avenir national parce qu'elle a oublié son passé raciste et colonialiste, le 59ème festival de Cannes a donné une réponse en la renvoyant à sa copie, celle d'hier, source et solution à la réalité d'aujourd'hui.
Sidney Poitiers a incarné à la fin des années 60 le racisme yankee vis-à-vis des Nègres, anciens esclaves, en lutte pour l'égalité des races, dans une Amérique puritaine, conservatrice et esclavagiste. « La Chaîne », avec Richard Widmark, « Devine Qui Vient Dîner », « Les Anges aux Poings Serrés » et « Dans la Chaleur de la Nuit », entre autres, sont des parodies raciales qui reposent sur le postulat yankee de la faute de l'étranger, nègre et ancien esclave de surcroît, éternel damné dans une Amérique traumatisée par la lutte raciale.
Ces Nègres, alors la minorité la plus importante avec 10% de la population totale, sont aujourd'hui submergés par les Latinos, comme naguère « Les Nègres Blancs d'Amérique » de Pierre Vallières (1). L'auteur qualifiait ainsi les Francophones du Canada qu'un certain lord (britannique) Durham a cherché à diluer dès 1830, après la rébellion de Louis Riel et des Patriotes au Manitoba, par une immigration massive d'Anglophones ; seule la revanche des berceaux a permis la survie de cet îlot francophone dans l'océan anglo-saxon.
Djamel Debbouze et les autres « indigènes », dont quelques « nègres marrons » comme aurait dit Med Hondo dans les années 70, renvoient à une métropole incapable de gérer son passé et son avenir et qui trouve dans le feu la mauvaise réponse à une demande d'intégration. Cette troisième génération, racaille à éliminer au Kärscher, pose aujourd'hui autrement le phénomène racial en France : la culture devient ainsi source de solution économique et d'intégration ; l'art en France en donnait déjà un aperçu que le nombrilisme blanc occultait jusque-là. Le dogmatisme algérien face à la France résume les difficultés de signature d'un accord de coopération qui reviendrait sur les erreurs du passé qu'elle aiderait à absoudre.
La quinzaine de Cannes 2006 a par ailleurs et par dérision coïncidé avec la marée noire des jeunes ouest africains à la recherche de l'Eldorado européen oublieux de son passé, de son sang et de sa culture nègres, de Pouchkine à l'épouse de l'empereur Napoléon Bonaparte, l'exquise Joséphine de Beauharnais, en passant par le valeureux Alexandre Dumas père plus ouvert à l'autre, lui l'inventeur du fameux « Un pour tous et tous pour un » des Mousquetaires du Roy.
Le sursaut espagnol relayé par Dakar quant au retour à l'envoyeur est un écho au renouveau raciste en Europe, notamment en Belgique, en Allemagne et même dans des pays plus au nord, traditionnellement favorables au prolétariat international qu'étaient la Russie et les pays scandinaves ; l'échec de l'intégration européenne avec le traumatisme né du « Non » au référendum du 29 mai de l'année dernière en France et au Danemark, la mauvaise réunification de l'Allemagne, la dérive soviétique avec cette fausse dislocation d'un empire dominé par la Nomenklatura d'hier qui a retourné sa veste, tout ceci explique le phénomène des « skinheads » et de l'intolérance, en général, qui exclue l'autre.
Cannes 2006 revient sur cette terrible logique et torturera pendant longtemps la (mauvaise) conscience de l'Occident face au Tiers-monde.
1- Pierre Vallières : les Nègres Blancs d'Amérique, éditions de l'Homme, Québec, 1973.
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